Comment fonctionnent nos régimes de retraite ?
Nous nous plaçons dans le cadre commun actuel des régimes de retraite français, à savoir des régimes contributifs en répartition, mise en place après la seconde guerre mondiale et qui couvrent aujourd’hui la majorité des Français. Ce cadre n’est pas débattu ici car il relève d’un choix politique ancien qui ne parait pas être remis en cause dans les discussions actuelles.
Dans le débat sur les retraites il faut bien distinguer d’une part les impératifs techniques et d’autre part les choix politiques. Trop de positions et de débats sur le sujet mélangent ces deux aspects, les ignorent, ou font semblant de les ignorer.
Que veut dire régime contributif ? Cela signifie que plus mon revenu d’activité est élevé en euros, plus je cotise en euros et plus ma pension de retraite sera élevée en euros ; au contraire, moins mon revenu d’activité est élevé en euros, moins je cotise en euros et moins ma pension de retraite sera élevée en euros. Cependant, en proportion, le taux de cotisation (= cotisation en euros / revenu d’activité en euros) est identique quel que soit le niveau du revenu d’activité. De même, sans changement de réglementation pendant la durée d’activité, le ratio (retraite en euros /cotisations en euros) sera le même quels que soient les revenus d’activités.
Exemple chiffré
En prenant un taux de cotisation global retraite à 28% (ordre de grandeur pour les salariés du secteur privé),
sur un salaire brut mensuel de 1700€ (environ le SMIC), la cotisation retraite est de 476€ mensuelle (part salariée + employeur) ;
sur un salaire brut mensuel 3400€ (environ le plafond de la sécurité sociale), la cotisation retraite est de 952€ mensuelle ;
les taux de cotisation sont identiques quel que soit le revenu :
476€ / 1700€ = 952€ / 3400€ = 28%
On peut donner un ordre de grandeur dans le référentiel AGIRC ARRCO de ce que ces cotisations procurent comme droits à retraite. En effet, l’avantage d’un régime en points tel que celui de l’AGIRC-ARRCO est qu’il donne immédiatement le droit à rente issue de la cotisation payée, et ce en monnaie du moment ; Il a été pris en compte dans l’exemple fictif le fait que toutes les cotisations de retraite n’ouvrent pas à droits à retraite.
476€ euros de cotisations en 2022 donnent 258 points AGIRC ARRCO, soit un droit à rente annuelle en 2022 de 331€, soit 28 euros par mois ;
952€ euros de cotisations en 2022 donnent 516 points AGIRC ARRCO, soit un droit à rente annuelle en 2022 de 663€, soit 55 euros par mois ;
les droits à rente sont en proportion identiques quel que soit le revenu cotisé :
28€ / 1700€ = 55€ / 3400€ = 1,6%.
Dans un régime contributif, les différences de revenus entre les actifs sont reproduites de manière consubstantielle sur celles des retraités. A noter que ces différences de revenus sont tout de plafonnées même s’il pourrait être débattu du niveau du plafonnement actuel (8 plafonds de la sécurité sociale pour l’AGIRC-ARRCO, ce qui est très élevé au regard de la distribution des salaires). En conséquence, il ne peut pas être adressé à un régime de retraite contributif un objectif réduction des différences de revenus entre actifs et retraités. De même, l’existence d’une pension de retraite minimum de solidarité n’est pas un sujet à adresser à un régime contributif, mais à un régime de solidarité distinct.
Que veut dire régime en répartition ? La notion de répartition s’oppose à celle de capitalisation Dans un régime en répartition, les cotisations des actifs sont « réparties » immédiatement pour payer les pensions des retraités ; il n’y a donc pas de placement de ces cotisations. Pour autant ces cotisations ouvrent des droits futurs individuels à retraite. C’est exactement le fonctionnement du régime complémentaire obligatoire des salariés AGIRC-ARRCO avec l’inscription de points de retraite sur un compte individuel.
Dans un régime en capitalisation les cotisations sont inscrites sur un compte individuel et serviront au paiement de la pension de l’individu. Les cotisations individuelles sont cependant placées collectivement par l’organisme assureur et font l’objet de mécanismes de revalorisations générationnelles. Ces revalorisations collectives seront in fine déterminantes du niveau de la pension individuelle.
Premier principe : un régime de retraite se doit d’être équilibré. C’est un impératif technique pour éviter la faillite à long terme, mais aussi un impératif de contrat social entre les générations : la retraite des uns ne doit pas obérer celles des générations futures.
L’équilibre est une contrainte, somme toute de bon sens, et ne peut pas être un choix politique surtout dans un régime en répartition. Comme pour le climat il est plus facile de différer les choix nécessaires à la pérennité, mais plus un régime tarde à se mettre à l’équilibre, plus il sera douloureux à opérer pour tous les ressortissants, actifs comme retraités.
Il est donc nécessaire d’organiser le régime de retraite pour qu’il soit en permanence équilibré, même si de petits déséquilibres sur une période courte restent admissibles tant que la trajectoire globale d’équilibre n’est pas remise en cause. Aujourd’hui les équilibres des régimes en répartition sont mesurés par l’équilibre des « résultats actuels et projetés » ; il faudrait adjoindre à ces indicateurs des mesures d’équilibre « bilanciel » beaucoup plus robustes (Cf. article Conforter la confiance dans un régime de retraite par répartition en points par le pilotage bilanciel Points de vue — BELACT CONSEIL).
Un régime de retraite par répartition non équilibré peut être assimilé à une pyramide de « Ponzi [i]» au niveau sociétal sauf à prôner une croissance exponentielle et infinie de la population cotisante, ce qui n’est ni souhaitable ni possible dans un monde fini.
Rappelons qu’un régime de retraite obligatoire par répartition peut faire faillite, l’exemple récent et pas si loin de nous est le régime grec après la crise de 2008 ; cela entraine notamment une diminution immédiate et drastique des pensions versées.
Deuxième principe : un régime de retraite se pilote avec trois paramètres principaux.
Une fois posé les principes contributifs et d’équilibre, le régime de retraite se pilote toujours avec trois principaux paramètres interdépendants et incontournables :
o Le niveau des cotisations,
o Le niveau des pensions,
o L’âge de départ à la retraite.
Le niveau de cotisation est un paramètre politique
Le niveau de cotisation du régime de retraite est une décision politique. Il détermine le niveau des droits à la retraite et dépend d’un niveau d’acceptabilité de renoncement au revenu d’activité immédiat pour un revenu différé. Les salariés du secteur privé (et leur entreprise) cotisent aujourd’hui 27,77% de leur salaire pour la retraite (part salariale + part patronale) jusqu’au au plafond de la sécurité sociale ; le taux de cotisation est légèrement différent sur la part du salaire au-dessus de ce plafond.
Autrement dit, les salariés du privé (et leur entreprise) consacrent plus du quart de leurs revenus d’activité au financement de leur retraite. Ce niveau de cotisation, élevé, a vraisemblablement atteint un plafond socialement pas ou peu dépassable. A noter par ailleurs qu’une partie significative de ce taux de cotisation ne donne pas de droit à retraite mais sert à l’équilibrage des régimes : cotisation déplafonnée au régime général de 2,30%, taux d’appel de 127% à l’AGIRC ARRCO (sur 127€ cotisés, 100€ seulement permettent d’acquérir des droits à retraite), contribution d’équilibre technique…
Le niveau des pensions et l’âge de retraite sont indissociablement liés
A équilibre donné et niveau de cotisation, l’âge de la prise de retraite ne peut pas être anticipé sans diminuer les pensions. De même, à équilibre donné et niveau de cotisation, le niveau des pensions ne peut pas augmenter sans retarder l’âge de prise de retraite. Il doit être trouvé un équilibre socialement acceptable entre niveau des pensions et âge de prise de retraite.
Ceux qui disent que l’on peut anticiper l’âge de la retraite et maintenir, voire augmenter, le niveau des pensions omettent de dire qu’il faudra alors beaucoup augmenter le niveau des cotisations, donc renoncer à un revenu immédiat important.
Age de départ à la retraite et espérance de vie à la retraite
A équilibre donné, l’âge de départ à la retraite doit augmenter avec l’augmentation de l’espérance de vie à la retraite. Là encore c’est une contrainte technique. Verser une pension plus longtemps coûte plus cher et tend à déséquilibrer le régime. L’espérance de vie en France augmente depuis des décennies et continue toujours d’augmenter comme le montre le tableau ci-après :
Evolution de l’espérance de vie à différents âges
Femmes Hommes
en années 2000 2005 2019 (p) 2000 2005 2019 (p)
Espérance de vie à 60 ans 25,6 26,4 27,8 20,4 21,4 23,4
Espérance de vie à 65 ans 21,2 22,0 23,5 16,7 17,7 19,6
(p) provisoire
Source : Insee, estimations de population et statistiques de l’état civil
En moins de 20 ans, les femmes ont gagné 2,2 années d’espérance de vie à 60 et 65 ans, les hommes près de 3 années, soit en valeur relative environ +10% pour les femmes et +15% pour les hommes. Contrairement à ce qui peut être aussi entendu, l’espérance de vie sans incapacité et sans incapacité sévère à 65 ans continue de progresser et même plus vite que l’espérance de vie[ii].
L’espérance de vie n’est cependant pas uniforme dans la population et dépend de multiples facteurs pas seulement liés au travail. L’âge au décès est multifactoriel et dépends de conditions sociales, économiques, génétiques… : les femmes vivent plus longtemps que les hommes, les cadres plus que les ouvriers, les revenus élevés plus que les plus faibles, les plus diplômés plus que les moins diplômés... D’un point de vue technique, il paraitrait équitable individuellement de favoriser les catégories qui ont en moyenne une espérance de vie plus faible et donc une durée de versement de leur pension de retraite plus courte. Cependant, le croisement de ces facteurs conduit à ce que les femmes ouvrières vivent plus longtemps que les hommes cadres ! Une femme ouvrière a une espérance de vie à 60 ans de 26,6 ans et un homme cadre à une espérance de vie à 60 ans de 25,5 ans[iii].
La pénibilité au travail, avancée par beaucoup pour justifier d’un départ à la retraite anticipé n’est pas un bon indicateur de l’espérance de vie à la retraite et donc d’équité.
Seule la catégorie socio-professionnelle des ouvriers a un taux standardisé de mortalité[iv] supérieur à 1 (1,21 pour les hommes) : ils meurent plus vite. Les cadres, au contraire, sont ceux dont le taux standardisé de mortalité est le plus faible (0,66 pour les hommes) : ils meurent beaucoup moins vite. Pour les femmes la disparité par catégorie socio-professionnelle est près de moitié moins marquée que celle des hommes.
La meilleure formule de prise en compte des différences d’espérance de vie n’apparait donc pas triviale, ni techniquement (quelles catégories considérer ?), ni politiquement (envisagerait-on de traiter les femmes défavorablement ?). En tout état de cause, les variations de mortalité ne peuvent pas être directement liées à la pénibilité au travail et le choix d’une méthode lisible, simple, et non couteuse à gérer, devrait être privilégiée si l’on veut mettre en place une retraite anticipée pour une ou certaines catégories.
Quid de la durée de cotisation ?
L’allongement de la durée de cotisation, outil principal utilisé en France depuis plus de 30 ans, n’est pas un bon outil de pilotage. En effet, ses effets sont toujours différés à long terme, ce qui engage peu les décideurs du moment, ni l’acceptabilité sociale des ressortissants au moment où les effets se font sentir.
Dans un régime contributif, la durée de cotisation influence le volume global des cotisations et donc in fine le volume des droits à retraite mais n’est pas un facteur d’équilibrage en soit.
Si la durée de cotisation minimum dépasse l’âge minimum de prise de retraite, cela aboutit à reculer l’âge effectif de la retraite avec certes un effet bénéfique pour l’équilibre du régime[v]. Cependant, cela tend aussi à augmenter les engagements du régime sur le long terme envers les actifs, ce qu’il convient de surveiller même dans un régime en répartition.
Enfin, rien ne justifie d’un point de vue technique d’anticiper l’âge de la retraite de ceux qui ont commencé à travailler tôt, car ce qui compte dans un régime de retraite contributif est l’âge auquel on prend sa retraite, qui conditionne la durée de versement de la pension, et pas la durée de cotisation qui conditionne le niveau des droits acquis et donc le niveau de la pension.
Troisième principe : les réserves et les flux alloués à un régime de retraite doivent être sanctuarisés et intangibles.
L’objet unique d’un régime de retraite est de verser des pensions viagères, c’est-à-dire sur toute la durée de vie, à ses ressortissants quand ils ont quitté leur activité professionnelle, et ce indépendamment de leur état de santé physique et mental.
L’adéquation du niveau de pension au financement de la dépendance (perte de santé physique) ou de la perte d’autonomie (perte de santé mentale) sont des problématiques autres.
Du coté ressources, les cotisations de retraite ne peuvent pas servir à financer autre chose que les pensions de retraite. Cela correspond à un principe simple de ne pas mélanger des risques qui n’ont rien à voir.
La dépendance et la perte d’autonomie sont des risques complexes qu’il convient de couvrir par des mécanismes spécifiques. Ils n’ont aucune chance d’être gérés correctement s’ils ne sont pas couverts et pilotés isolément.
Il ne faut pas, en outre, sous-estimer la complexité de la gestion d’un régime de retraite en répartition sur le court et le long terme si l’on veut garantir son équilibre et servir des pensions de retraite d’un niveau transparent, anticipable et proportionné.
Il convient donc de n’attribuer à un régime de retraite que l’unique mission de verser des pensions viagères, sans quoi cela ajoutera de la confusion à celle déjà existante et lui sera forcément préjudiciable.
Sur un autre registre, on peut souligner que les fonctionnaires ne disposent pas d’un régime de retraite à proprement parlé car leurs flux ne sont pas sanctuarisés : l’état de paie pas sa cotisation « employeur » mais seulement une contribution annuelle globale d’équilibre ; en outre les cotisations salariées et pensions versées ne sont pas isolées du budget courant de l’état. Dans ces conditions, le régime de retraite des fonctionnaires n’est ni pilotable, ni piloté, alors qu’il couvre un cinquième de la population française. Cela constitue une iniquité de traitement importante entre le secteur public et le secteur privé sur laquelle il faudrait s’interroger.
En résumé, un régime de retraite contributif par répartition doit toujours être équilibré pour ne pas obérer les droits des générations futures.
Il fonctionne avec trois paramètres principaux interdépendants :
o Le premier est le taux de cotisation sur le revenu d’activité, lié à un consensus politique et social et doit rester stable à long terme pour favoriser l’équité intergénérationnelle.
o Le deuxième est le niveau des pensions, notamment en termes de taux de remplacement par rapport au revenu d’activité, qui doit assurer l’équilibre du système.
o Le troisième est l’âge de départ à la retraite qui doit évoluer en fonction de l’espérance de vie des ressortissants toute chose égale par ailleurs.
Ces deux derniers paramètres sont de nature technique et non politique et ne peuvent pas être fixés indépendamment l’un de l’autre ; seul l’arbitrage éclairé entre les deux est un choix politique.
Enfin, un régime de retraite ne doit servir qu’un seul objectif, verser des pensions viagères dans un soucis de transparence et d’équité intergénérationnelle. Cela nécessite notamment des règles de fonctionnement constantes sur le long terme. Autrement dit, une réforme des retraites doit se penser globalement et pour longtemps sans avoir à y revenir régulièrement comme c’est malheureusement le cas depuis plus de 40 ans en France.
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[i]Pyramide de Ponzi : montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l'escroquerie n'est pas découverte, elle apparaît au grand jour au moment où elle s'écroule, c'est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients (source Wikipedia).
[ii] Source DRESS : En 2020, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans est de 12,1 ans pour les femmes et de 10,6 ans pour les hommes | Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (solidarites-sante.gouv.fr)
[iii] Source INSEE : L’espérance de vie par catégorie sociale et par diplôme - Méthode et principaux résultats - Documents de travail - F2016/02 | Insee
[iv] Le taux standardisé de mortalité est le taux de décès d’une population si cette population avait la même structure par âge que la population de référence.